mardi 7 février 2012

Belawakh : l'odysée éolienne

Belawakh, c'est le premier village que l'on rencontre en quittant Nouakchott vers le nord. C'est un village Imraguen (pêcheurs) qui se trouve au bord de la mer,à 50km de la capitale.



Dans ce village CDS (l'entreprise dans laquelle je travaille), exploite et entretient une installation pilote solaire/éolien pour la fourniture d'électricité. Il y a 1.8kW solaire (8 panneaux 230W, en gros la moitié d'une installation solaire de toiture en France), et une éolienne Whisper500 (4m50 de diamètre, 3kW à 45km/h de vent d'après le constructeur). Tout ceci charge, au gré du vent et du soleil, un banc de 16 grosses batteries 200Ah 12V. L'installation est en 48V et possède un onduleur de 4kW qui créée du courant classique 220V 50Hz.

Un mini-réseau sous terrain part dans le village et alimente une quarantaine d'abonnés qui ont chacun un compteur, et tirent l'énergie sur les batteries, via l'onduleur. Ces abonnés payent l'électricité selon un tarif mensuel fixé par l'état. Ce tarif comprend une partie fixe, et une partie variable proportionnelle à l'électricité consommée. En gros l'électricité revient à plus de 50ct d'euros le kWh (pour info en France on est à12ct). Malgré ce tarif élevé, CDS ne couvre pas les frais d'exploitation et d'entretien... C'est une petite installation, avec peu d'usagers, et l'effet d'échelle est défavorable. L'énergie, ça coûte cher quand on prend tout en compte !! (petit clin d’œil au nucléaire).

Pourtant l'expérience continue, car elle permet à CDS de se faire la main sur les systèmes, et d'étudier de plus près les moyens d'équilibrer financièrement un tel service de fourniture d'électricité en milieu rural.

Quand je suis arrivé en août dernier l'installation solaire était OK (nettoyée tous les jours !) mais l'éolienne était en panne, à l'arrêt et intégralement rouillée... La whisper 500 est un mauvais choix technique. Non seulement elle ne résiste pas aux conditions marines, mais en plus c'est une éolienne trop rapide et trop légère, qui a tendance à générer des vibrations destructrices quand le souffle fort... Ce qui est le cas à Belawakh ! Aucun obstacle ne le freine, et les tempêtes de sable venant de l'Est sont fréquentes..




Une première mission a permis le démontage de l'éolienne. Sa fixation sur le container nous a obligé à utiliser un camion-grue... Encore un mauvais choix technique à l'installation ! La location d'un camion coûte cher et n'incite pas l'opérateur à descendre la machine pour l'entretenir. Résultat: une éolienne presque morte, une autre foutue (je ne vous en ai pas parlé), et un mât bien rouillé, le tout après seulement 2 ans de service.





L'épisode suivant a été long et fastidieux... Trouver le temps, aux heures perdues, pour remettre tout ça d'aplomb:
  • Fusionner deux mâts rouillés de 6m en un beau mât de 12m résistant à la rouille et fonctionnel pour un montage basculant (dévisser des boulons grippés à mort, faire des découpes et des soudures d'accroches, faire "détordre" un tube plié par le vent, fabriquer un pied de mât costaud...)
  • Trouver dans Nouakchott tout l'accastillage et l'outillage nécessaires à un tel montage sur haubans
  • Convaincre de l'utilité du mat basculant alors qu'on n'en voit nulle part
  • Requinquer l'éolienne en refaisant les branchements, en nettoyant, en passant de l'anti-rouille
  • Le tout en travaillant au sol, dans la poussière ! Alléchant.
Tout ceci s'est fait progressivement, après avoir fait le tour de toutes les quincailleries de Nouakchott, tous les gros soudeurs, tous les fournisseurs de métal...

Et voici notre éolienne prête à regagner son village natal ! Mais avant de tout installer, il faut couler 5 gros massifs en béton (pouark) pour accrocher les haubans (d'autre techniques utilisent moins de béton, mais j'ai préféré assurer en bon débutant !).

Un ferrailleur qu'il faut aider à tordre le fer, un pick up plein de coquillages et de ciment, un maçon qui fait sa sauce à la main, et hop ! voici nos massifs. Attention aux alignements !



















Une fois le béton sec après plusieurs jours, on enlève les coffrages et on installe enfin le mât de 12 mètres et ses 2 nappes de haubans. Le but est de faire un "levage à blanc", sans l'éolienne, pour régler les haubans.

Je passe sur la négociation de l'engin clé de la manip : le tirfor ! Il permet de tout lever à la main en démultipliant le mouvement, comme un cric pour une voiture. On n'en a trouvé qu'un seul dans toute la ville, d'occaze.. histoire de rajouter un peu de piment pendant le levage.

Ce jour-là beaucoup de vent et de sable dans la figure... Mais une bonne pause déjeuner-méchoui dans une maison du village !







Ça y est, la mission ultime est lancée : on apporte l'éolienne sur site ! Au menu :
  • du branchement, une belle tranchée vers le container contenant l'installation électrique
  • Une installation de tendeurs trouvés très difficilement à Nouakchott, et permettant de bien régler et serrer les haubans une fois l'éolienne levée
  • Un levage avec cette fois-ci 80kg au bout du mât.


























L'éolienne est enfin levée, après quelques péripéties dues au manque de matériel... et d'expérience ! Le vent est fort, on passe sur "On"... L'éolienne accélère, accélère, on ne voit plus les pales... le mât se met à vibrer bizarrement, j'arrête tout. On pense qu'elle est mal connectée aux batteries et tourne librement, ce qui est mauvais... Je commence à potasser le manuel, mais il est tard. On laisse le frein, on remet le démarrage à plus tard au grand regret des habitants, et au mien. Promis, on revient dans 2 jours (le week-end !).

Nous voici donc de retour, avec un collègue de boulot... Et Julie, qui profite de l'occaze pour découvrir le village.

Le vent est toujours fort. Après 1000 tergiversations et réglages, on lâche le frein et décide d'attendre. L'éolienne prend une vitesse folle, les batteries se mettent à charger mais le mât entre en résonance, vibre et gigote tant qu'il peut, tout semble vouloir lâcher d'une seconde à l'autre, avec l'éolienne qui tourne à toute berzingue. J'enclenche le premier frein. Rien. Le second et ultime frein. Toujours rien, elle continue de plus belle. RRRAAAA !!!! QU'EST-CE QU'ON FAIT ??!?? Je mords mon t-shirt, j'attends, je dis au gens de s'éloigner... Et puis un trou de vent permet à l'éolienne de freiner progressivement, et enfin de s'arrêter.

Gros soulagement. On reprend ses esprits.




Décision : équilibrer l'hélice, car une pale semble plus lourde que l'autre (vibrations anormales), et puis diminuer ce mât de 12m qui ne tient pas mécaniquement. Malgré un boulonnage très serré, des tubes épais, lourds et costauds, l'ensemble (6tubes de 2m environ) est trop souple pour n'être tenu que par 2 nappes de haubans. On se résigne à l'abaisser à 7m en enlevant 3 tubes.

Ultime et dernière mission :

Équilibrage de l'éolienne avec deux tiges de fer (petit avantage de la bipale, on peut équilibrer grossièrement au sol):






Et puis Levage, et nouvelle mise sur "ON" ... Pas une vibration, merci l'équilibrage, pas de problème, enfin !! Petit vent tranquille, on monte à 700W... ça fait plaisir après toutes ces galères et ces mois de patience.




Depuis l'éolienne a essuyé une tempête de sable, avec des rafales à plus de 15m/s. C'était hier... et ça a tenu. La moitié du village, auparavant débranchée pour économiser les batteries en absence d'éolienne, a pu se rebrancher. Les ampoules se sont rallumées. Yeepee !!

Toutefois l'électricité n'est dispo que le soir, sur mise en route du système par un villageois-opérateur. Sans cela les batteries se déchargeraient trop...

"A quand l'électricité 24h/24 comme en ville ?", demandent les villageois.

"Eben... pas pour tout de suite", répond le jeune blanc bec français qui se demande si le progrès technique n'est pas aussi une source perpétuelle de frustration.

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