Djadjibine Chorfa : mission pompe solaire

CDS, l'entreprise où je travaille à Nouakchott, est délégataire de service public (DSP). Cela signifie que l'état lui a délégué des installations de fourniture d'eau potable dans une vingtaine de villages en Mauritanie. On a donc la responsabilité d'entretenir ces installations, et en retour on facture l'eau consommée, selon un tarif fixé par l'état.

La plupart de ces installations sont constituées d'un forage, d'une pompe immergée alimentée par un groupe électrogène, d'un château d'eau et d'un réseau de distribution avec compteurs. L'eau potable est distribuée par des branchements particuliers (directement dans les maisons) ou bien par des bornes fontaines, où les villageois remplissent des bidons.

Il y a une quinzaine de jour un groupe électrogène est tombé en panne dans l'un de ces villages : Djadjibine Chorfa, à 8 heures de route de Nouakchott. Les villageois, environ 1000 personnes, se sont retrouvés sans eau, et il était urgent d'intervenir.

Le remplacement du groupe étant très onéreux, il a été décidé d'investir dans une installation solaire. Le principe est simple : des panneaux solaires alimentent directement une pompe placée au fond du forage, qui refoule dans le château d'eau. Il n'y a pas de batterie, la pompe fonctionne "au fil du soleil", ce qui rend l'installation très robuste et sans entretien. Normalement, ça tient une dizaine d'années !

 Voici un petit schéma de principe :

Nous voici donc à Nouakchott lundi 6 février. La décision est prise de transformer l'installation en solaire. c'est la course, il faut dimensionner l'installation, c'est à dire trouver la pompe qui fournira au moins 10m3 par jour à 65m de hauteur, déterminer le nombre de panneaux, fabriquer les supports des panneaux, trouver les câbles, les accessoires...

Mardi, on se rend au marché noir pour acheter les équipements. Après des discussions interminables avec le vendeur qui essaie de nous refourguer une pompe d'occasion pour le prix du neuf, nous trouvons enfin notre bonheur. Les panneaux sont probablement volés, étant donné leurs câbles sectionnés. Mais leur prix freine les réticences : moins de 130 euros pour 180W. On en prend six. Une changement de dernière minute oblige à rectifier tous les supports métalliques (aux frais de ce satané vendeur qui a changé les panneaux au dernier moment, en nous faisant perdre un temps fou).

Après 3 jours de bagarre et de course contre la montre, nous voici en route vers Kaedi, jeudi après-midi, où l'on dormira avant de reprendre notre chemin vers Djadbeni le lendemain matin. L'équipe : un chauffeur, un technicien installateur, un technicien CDS, et moi, le directeur technique des opérations, en parfait débutant !

Arrivés à Kaedi vers 23h, je m'arrache pour passer de l'anti-rouille sur les supports afin de gagner du temps sur le terrain. On est à 20deg de latitude, c'est dur de travailler la tête en bas parce que la peinture coule.

 

Lendemain matin, vendredi. Après une nuit courte, départ pour Djadbeni, avec cette fois pas mal de piste. Un arrêt petit déj dans une boutique du coin, puis un arrêt déjeuner dans une khaïma, avec les verres de thé qui vont avec !

Nous voici enfin arrivés au forage en panne. Le local contient le groupe électrogène qui ne tourne plus. Sur la seconde photo, le forage.

Après de longues discussion, un coup de fil au maire du village, on est autorisé à déplacer le grillage d'un mètre pour installer les panneaux... drôle de problème au milieu d'une telle immensité. 

Le travail peut commencer. Pendant qu'on sort la pompe du forage (50m de tuyau, la pompe au bout... c'est lourd !), l'assemblage des panneaux démarre, avec le casse-tête chinois de l'agencement des cornières. On va voir si les supports ont été bien dessinés et si les trous coïncident monsieur l'ingénieur !

 Comparaison des 2 pompes : on remplace une grosse par une petite... Euh... Vous êtes sûr qu'on va tirer suffisamment d'eau ? Mais oui, j'ai fait des simulations sur l'ordi.. HUM. Le doute s'installe. On réalise la connexion électrique de la pompe avec de la gaine thermo-rétractable chauffée au gaz, qui assure une étanchéité parfaite.

On a mérité notre pause déjeuner. Le soleil cogne, on boit beaucoup mais on a soif tout le temps. Note pour plus tard : une casquette ne suffit pas, et il faut des lunettes de soleil. Je prends quelques coups de soleil, dont un dans l’œil droit, ce qui m'empêchera de dormir la nuit suivante.

Le travail reprend, on termine l'agencement des panneaux. On scelle l'ensemble dans le sol après avoir réalisé les connexions. Trois séries de 2 panneaux, montées en parallèle.

On descend enfin la nouvelle pompe solaire au fond du forage :

On arrête là pour aujourd'hui. On est crevés. Retour au village pour une nuit dans la maison de passage, sur la terrasse : 

Le lendemain on repart au forage pour terminer l'installation. J'ai la bonne idée de lire le manuel de la pompe. les panneaux ne sont pas connectés comme il faut, on n'aura pas assez de tension... On refait donc l'agencement. Cette fois deux séries de trois panneaux, montées en parallèle. Le technicien qu'on a engagé pour l'occasion ne semble pas maîtriser tant que ça, pour quelqu'un qui a soit-disant installé plus de 50 pompes solaires...

On installe enfin l'onduleur dans la baraque, et on creuse une tranchée jusqu'au forage pour l'alimentation de la pompe :

Ça y est on est prêt pour le grand suspense !! Le soleil cogne, il est environ midi... Si ça ne marche pas maintenant ça ne marchera jamais !! On met sur "ON", et bonheur, l'eau coule à la surface !

Le débit semble faible à premier abord, mais on mesure 2m3/heure au compteur, comme prévu. Avec une journée de soleil ça donnera au moins 12m3, plus que les 10m3 dont a besoin le village.

Maintenant il reste à vérifier que l'eau arrive bien au château, 3-4 km plus loin. Est-ce que le débit ne va pas baisser une fois connecté à ce long tuyau vers le château ? En théorie non, la perte de charge est minime.. On file vers le château, et ... ouf !! on valide la théorie !! C'est la fête tout là-haut !

 Le maire est satisfait, il nous remercie et s'en retourne chez lui.

On dépense nos dernières forces à charger le groupe électrogène en panne dans le pick-up (700 kilos..), et hop ! 1500 litres de gasoil économisés par an ! On rentre chez nous.

Une mission crevante mais vraiment passionnante. J'espère qu'il y en aura d'autres !!